Korner Éva - Gellért Andor szerk.: A Magyar Nemzeti Galéria Közleményei 5. szám (Budapest, 1965)

ntérêt de remarquer que sur les planches de la série « 1514 », ce sont toujours les souffrants, les opprimés qui portent le masque de Derkovits: la figure empalée du bois Sur le bûcher, 37 (Fig. 28.) la tête tordue de souffrances du Paysan au pilori 33 (Fig. 29.) des planches de la série de Dózsa. Les vers que Derkovits écrivit en 1932 nous vien­nent à l'esprit: « Ma vie est un zeste de citron, Pourquoi dois-je écrire ces lignes Pour que moi-même, je me déchire. » 39 L'état d'âme de Derkovits se consumant dans la créa­tion ne s'explique pas par la seule constitution psychique ou par le caractère créateur: le sentiment de sa mission qui le force à persévérer jusqu'au bout y joue un rôle décisif. Cette intuition constitue la caractéristique de l'artiste expressionniste. Mais l'application de l'intuition à ses fins, voilà ce qui sépare l'art de Derkovits de l'expressionnisme. Au début des années 30, à l'époque de la manifestation du 1 er septembre, des arrestations en masse, de la loi mar­tiale, Derkovits se représente lui-même sur plusieurs des­sins au lavis. Ses expériences personnelles avec le tribunal l'y poussent aussi. Il est connu, l'histoire de son expulsion de son logement, événement qui lui inspira le sujet de l'une de ses plus belles toiles, l'Ordonnance du juge. 40 Plusieurs critiques ont déjà analysé le thème et la forme de l'Ordon­nance du juge, ils ont établi un parallèle entre le chat à l'affût de l'oiseau et le papier porteur de l'arrêt inexorable, ils ont remarqué l'inhérence des deux visages qui n'en font presque qu'un. 11 s'agit d'un des tableaux les plus connus de Derkovits, donc nous n'entrerons pas dans les détails. Pourtant nous voudrions attirer l'attention sur ce fait que cet autoportrait au profil dur et marqué du peintre se retrouve aussi dans le lavis Au nom de la loi, daté de 1930 41 (Fig. 30.). Si semblable au Werbőczy de la série Dózsa, le juge, vêtu de sa toge, s'appuie sur le Code, sous lequel on voit, derrière les grilles d'une prison, des condam­nés. L'un d'eux est Derkovits lui-même, tel qu'il s'est re­présenté dans l'Ordonnance. Le procès d'arrérages du loyer et d'expulsion valut à Derkovits six mois de prison, avec sursis. Ainsi, durant les dernières années de sa vie, il était menacé par la possibilité d'être jeté en prison, si le sursis n'était plus valable à propos d'une autre affaire. Ainsi il ne devait pas faire d'efforts d'imagination pour s'imaginer au fond d'une prison. Il avait des raisons bien fondées, puisque, à la fin des années 20, son logement était le lieu de rendez­vous illégaux, et beaucoup de camarades de sa connais­sance s'étaient fait prendre. Si l'on connaît l'époque et les circonstances, les deux autres planches de la série Au nom de la loi ne semblent pas elles-mêmes outrées ou exagérées. Sur la première planche, c'est une potence qui sert de table au juge obèse, un homme y est pendu et sur son visage tordu de souffrances, on reconnaît les traits de Derko­vits. 42 Sur l'autre planche un gendarme appuie sa baïonnette contre la poitrine du même homme ligoté et étendu sur le sol. L'ombre d'un homme énorme, fumant sou cigare;, s'élève au-dessus des murs de la prison. 43 Du fait do son conflit insupportable par sa tension, du fait de sa logique impitoyable, et de sa solution caricaturale, la série Au nom do la loi dépasse les cadres des catégories de genre jusqu'a­lors connus chez Derkovits, et constitue le point de départ de la satire qui formera un fil indépendant, facile à retrouver parmi ses œuvres des aimées 30. Dans co genre naquirent plusieurs œuvres de grande valeur, comme Au téléphone, 44 la Femme à lorgnette, 45 ou, la plus belle, les Artistes du cirque où nous retrouvons un nouvel autoportrait. 44 La figure de Derkovits paraît un peu étrange dans le costume bigarré des artistes et des clowns de cirque, ce costume tant de fois emprunté par les peintres du 20 e siècle pour expri­mer leur opinion amère sur le monde. Pourtant, en 1926, Derkovits a déjà peint un artiste forain, le Mangeur de feu, 47 (Fig. 31.) et sous ce masque aussi c'est lui-même qu'il représente, mais sur ce tableau-ci la figure du garne­ment peinte de couleurs flamboyantes, claires et fortes, est un mélange de saltimbanque et d'un agitateur, et il fait son tour d'adresse dans la cour d'une grande bâtisse, non dans un monde fermé, isolé. Les artistes (Fig. 32.), daté de 1933, détonne par rapport à ses autres œuvres aussi par ce qu'il n'y en a pas une autre peut-être qui contienne autant de motifs communs avec Toulouse-Lautrec et Picasso, et ceci sans que le tableau donne dans l'imitation. Quoiqu'il soit hanté par l'accent plus rude et plus radical de ses œuvres antérieures — l'ouvrier du Secoueur de grilles, dans l'autoportrait du briseur de chaînes, le juge obèse dans la figure grotesque du petit singe — le monde miroi­tant du cirque n'est qu'une irréalité douloureuse. Dans le milieu peint en fines couleurs voilées — rose pâle et argent atténué — l'exploit de géant de l'artiste — la rupture des chaînes et des grilles — passe avec un peu d'ironie dans le domaine magique, dans le domaine de l'art. Derkovits qui attendait le 1 er septembre comme un nouveau 1919, se rendit compte après 1930 de la vérité cruelle que son espoir ne se réaliserait que dans un avenir lointain. C'est pour­quoi il prête à la génération future une grande importance et une attention spéciale dans plusieurs de ses tableaux. Le grand exploit de l'artiste, tous les assauts et les batailles de la lutte qu'il menait pour connaître la vérité, pour le triomphe de la société nouvelle, se sont déroulés dans les limites de l'art. Par là, il ne s'opposa pas au monde exté­rieur au domaine artistique, mais il fit tout son possible pour en exprimer l'essentiel. Et, il faut le dire à son hon­neur, il a mené à bonne fin ce qu'il s'était assigné. Júlia Szabó

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