dr. D. Fehér Zsuzsa - N. Újvári Magda szerk.: A Magyar Nemzeti Galéria Közleményei 4. szám (Budapest, 1963)
LES INTÉRIEURS DE JÓZSEF RIPPL-RÓNAI (1 86 1 — 1 92 7) Les amis hongrois des beaux-arts fêtaient en 1961 le centenaire de la naissance de József Rippl-Rónai. À cette occasion, la Galerie Nationale Hongroise a organisé une exjDOsition d'un éclat exceptionnel, mettant en relief la multiplicité des aspects d'un art à la séduction irrésistible. Les visiteurs de cette exposition pouvaient voir, réunies dans un ensemble harmonieux, les différentes manières de l'artiste et l'incomparable variété de ses thèmes reproduisant avec une sensibilité toujours éveillée les mille et une manifestations fulgurantes de la vie. Us pouvaient passer en revue toute une légion de portraits, de nus, de natures mortes et de paysages, mais leur attention était surtout retenue par des intérieurs remarquables, d'une intimité attachante, auxquels ils revenaient toujours. Tout en nous remémorant la force magique avec laquelle Rippl-Rónai pénètre les profondeurs intérieures de ses modèles sur ses portraits Ma grand' mere, Le poète Babits, tout en nous souvenant du réalisme saisissant de ses tableaux dans le genre de Joueurs de quilles ou Les paveurs de la grand'rue à Kaposvár, nous avons le sentiment que de tous ses thèmes, c'est l'intérieur qui lui avait permis de se révéler à lui-même le plus complètement. Dans toutes les périodes de sa carrière, dans sa manière noire aussi bien que dans sa manière colorée, dans la manière du pointillé dite graines de maïs, il a toujours peint des intérieurs. Ceux-ci sont donc nombreux, 1 mais cette importance n'est pas due à leur nombre: en pensant aux chefs-d'oeuvre des Rippl-Rónai, nous voyons toujours et involontairement certains intérieurs. Le tableau Crépuscule dans une chambre intime (1892) (Fig. 39) date encore de son séjour en France. C'est une oeuvre attachante, nous révélant déjà de nombreuses caractéristiques des intérieurs peints plus tard à Kaposvár. Le peintre y représente avec une abondance de détails un intérieur dans la pénombre. Seuls le bleu du tablier d'une femme assise à son bureau et vue de dos et le bleu éclatant d'un vase semblent se détacher de l'obscurité. Notons que ce motif d'une figure absorbée par son travail et vue de dos n'apparaît que très rarement dans les intérieurs postérieurs de Rippl-Rónai (par exemple: Dans la cuisine, Mur blanc, meubles bruns) quoique l'importance de ce motif dans sa création d'une ambiance intime ait été connue déjà des peintres romantiques allemands qui l'avaient utilisé de préférence dans leurs tableaux d'intérieur. Dans cette période de sa carrière, Rippl-Rónai recourait souvent à des motifs d'intérieur pour metre en relief le caractère de ses modèles, comme ses portraits excellent, Ma grand'mère (1892) et Le Vieux Bipli, adorateur de Kossuth (1897) l'attestent. Le fauteuil à bras, style Empire de la grand'mère et le large fauteuil, style biedermeier, du vieux Ripli, le portrait de Kossuth accroché au mur, jouent un rôle important dans le tableau: ils contribuent à faire ressortir le caractère du modèle. Plus tard, dans sa célèbre série des portraits d'écrivains appartenant à la revue Nyugat (Occident), il renonce à utiliser à cette fin les objets qui meublent un intérieur; il exprime le caractère uniquement par les traits et les formes du visage ou, éventuellement, par ceux de la main. En 1902, Rippl-Rónai quitte Paris et s'établit définitivement dans sa ville natale, à Kaposvár. C'est alors que commence ce que nous avons l'habitude de désigner comme la période de ses intérieurs de Kaposvár. Rippl a rapporté de Paris les enseignements des nouvelles tendances de l'art en France, le chaleureux souvenir de l'amitié qui l'avait lié au mouvement Nabis et tout cela, se mêlant à l'ambiance du pays natal, ce beau pays de la Pannonié, au climat de la famille, ne cesse pas de l'inspirer. Toute une série de splendides intérieurs en sortent et développent la séduction de la vie de famille et l'intimité du foyer. Le sujet de ces tableaux, c'est le foyer, le foyer de l'artiste, mais dans ces intérieurs apparaissent aussi les membres de la famille qui y vivent et y meurent. Le fait qu'il représente son foyer, le milieu dans lequel se déroulent sa vie et celle des êtres chéris revêt une importance capitale chez Rippl-Rónai qui n'a jamais cessé de chérir sa famille et son foyer. Nous ne connaissons pas de peintre hongrois l'ayant égalé dans son attachement à la famille, manifeste dans un très grand nombre de tableaux. La même affection filiale qui guide son pinceau quand il les représente, guide aussi sa plume quand il parle d'eux. 2 Mais il n'aimait pas uniquement ses parents, il était lié aussi par une affection sincère à tous les membres de sa nombreuse famille. Ses parents ne sont pas seuls à figurer dans ses intérieurs. Nous y retrouvons souvent sa femme Lazarine et ses parents, surtout le vieux Piacsek, un homme maigre, au nez imposant. Comme les personnes, les objets eux aussi reviennent souvent sur les intérieurs de Rippl-Rónai: les anciens meubles style biedermeier, le châle de cachemire à grandes fleurs, l'ange de bois doré et beaucoup d'autres objets nous sont familiers. Une grande intimité se dégage de ces tableaux, un lyrisme discret naît de cet attachement de Rippl-Rónai à l'intérieur, aux objets familiers, aux personnes chéries.