A Magyar Nemzeti Galéria Évkönyve 3. szám. (MNG Budapest, 1980)
LE TABLEAU DE PLAFOND DE MUNKÁCSY DANS SON MILIEU ARCHITECTURAL Dans l'église Saint-Ignace, à Rome, Pozzo a, par une incrustation dans le sol, défini exactement le point de vue d'où-la structure perspective (construite à partir de ce point), donne une illusion parfaite. 82 De même à Vienne, dans l'église des Jésuites, on a, non loin de l'entrée, mis une petite plaquette plus foncée sur les dalles de marbre, pour marquer l'endroit d'où la vue de la fresque de la coupole est la meilleure. Ici cette aide était plus nécessaire pour le spectateur, du fait que — arbitrairement et sans motivation architecturale visible — les deux travées du fond de la nef avaient été choisies pour accueillir le tableau de la coupole. Par rapport à cette dernière, le plafond de Munkácsy a un énorme avantage dû à une relation heureuse entre le tableau et l'architecture : les premières marches de l'escalier constituent la première barrière naturelle pour le spectateur où il est obligé de s'arrêter, et de là, d'un seul coup d'oeil, il saisit le tableau dans toute son étendue, en même temps c'est l'endroit d'où l'illusion optique est optimale. L. Pascoli, dans sa « Vita di Andrea Pozzo » raconte d'une façon amusante la genèse du tableau de la coupole, en trompe-l'œil, de l'église Saint-Ignace à Rome — ce tableau aussi est peint sur une énorme toile qui fut ensuite appliquée sur le plafond plat — les rires et les quolibets de ses collègues peintres incompréhensifs devant le tableau non encore terminé, la foi ferme de l'artiste dans son œuvre en face des supérieurs de son ordre, la tension avec laquelle on attendait la mise en place, le dévoilement, et enfin la victoire ainsi que la consécration publique d'un art nouveau basé sur le calcul optique. 83 Abstraction faite des innombrables rapprochements qui existent entre ce que nous venons de dire et la façon dont fut accueilli à Paris le tableau de Munkácsy (que nous avons relatée dans l'entrée en matière), il est certain que l'émotion de Munkácsy ne devait pas être moindre lorsque, arrivé de Paris, le matin du 16 octobre 1890, il se précipita au Kunsthistorisches Hofmuseum de Vienne, pour voir son œuvre à sa place définitive. Naturellement nous connaissont les difficultés et les désagréments qui, au début, empêchèrent que l'œuvre fût équitablement jugée : l'endroit était plein d'échafaudages, la confusion était grande, il était presque impossible d'avoir une vue du tableau et ainsi de suite. A peine peut-on se faire une idée de la situation architecturale à ce moment-là, du stade des travaux de l'escalier. Ce qui est certain, c'est que le lendemain Munkácsy quitta Vienne avec la conviction intime que tout allait bien. On sait qu'un an plus tard, lorsque, l'édifice étant complètement terminé, eut lieu l'inauguration solennelle, Munkácsy n'était pas présent ;, mais il est inconcevable que, dans les mois qui suivirent, il n'y ait pas effectué une visite en allant en Hongrie, par exemple : il dut alors avoir une impression beaucoup plus exacte, plus positive non seulement de son œuvre picturale mais avant tout de l'ambiance du tableau de plafond, de la concordance entre le plafond et l'édifice qui l'entoure, de l'emplacement du tableau dans l'espace en tant qu'œuvre de l'architecte. A chaque peintre qui fut chargé du tableau de plafond, il fut, lors de la commande, spécifié entre autres, que le plafond ne serait pas exposé à une lumière directe et qu'il recevrait une lumière diffuse. Si, à fin des travaux préparatoires, Munkácsy a, sur le soi-disant « carton », antécédent direct du tableau définitif, changé essentiellement son style pictural et sa palette — lorsque Munkácsy parle avec son ami et critique français, Paul Fresney, d'un changement de style exigé par l'œuvre, 84 il s'agit évidemment des couleurs claires et de la précision qu'il y a essayées - c'est que, (après s'être probablement rendu compte personnellement des circonstances), il a certainement été influencé d'une manière décisive par une remarque de l'auteur de la commande, qui a attiré son attention sur une source de dangers. La situation architecturale qui, dans un but artistique, demandait la réalisation d'un tableau mural ressemblant aune fresque, et aussi l'insuffisance de l'éclairage firent suivre au peintre une seule et même direction. Soit dit en passant, l'importante œuvre que Munkácsy commença immédiatement après avoir terminé le tableau de plafond du musée de Vienne, la « Conquête du pays », suit, malgré une certaine réserve, le développement précédent, elle dispose incontestablement d'un coloris plus net, plus léger, plus clair - lequel, sous l'influence des impressionnistes, était déjà sensible dans certains travaux effectuées avant le tableau de plafond —, d'une peinture qui, par l'exclusion du noir et du bitume, donne des tons « naturels », mais étant donné que la peinture historique a d'autres exigences et sert d'autres buts, ces tons, par leur évolution vers le « plein air », laissent de nouveau derrière eux la gaieté sereine et la clarté lumineuse du tableau du grand escalier. 8s D'autre part, c'est justement cette façon de penser qui nous a amené à considérer le tableau de plafond et l'architecture dans leur double unité. Le grand escalier du Kunsthistorisches Museum constitue un exemple de coordination heureuse de l'architecte et de ses possibilités — tout d'abord la couleur et la lumière outre la disposition formelle de l'espace — avec le tableau de plafond comme summum, de la « décoration ». Contrairement à ce qu'on attendait, les craintes de Munkácsy (entretenues par ses amis, artistes et critiques de Paris) à propos de l'originalité de la composition, de la nouveauté du coloris et surtout de la hardiesse de la construction perspective, de même que celles de l'architecte à cause de