Pogány Ö. Gábor - Csengeryné Nagy Zsuzsa dr. szerk.: A Magyar Nemzeti Galéria Évkönyve 1. szám. (MNG Budapest, 1970)

ses premières œuvres il y a des tableaux dont la douceur fait penser au berceau lentement balancé, sur lesquels des mères au regard chaud et attendri, aux formes pleines allaitent leur bébé et semblent offrir le refuge éternel aux adultes qui ne perdent jamais la nostalgie de la protection dont jouit l'enfance ou au moins l'illusion de cette protec­tion. Mais dans ces compositions la sensiblerie à laquelle il est si difficile d'échapper est contrebalancée par un coloris très clair, par des formes stylisées empruntées à l'art décoratif et surtout par une construction très ferme, soigneusement étudiée, propre à dominer le sujet. Kohán était à même de se risquer à traiter des sujets dits « très pittoresques » qui tournent si facilement au chiqué et répugnent aux connaisseurs. Mettant en relief tout ce que ces sujets peuvent avoir de beau par leur coloris et leurs formes, il les interprétait avec art sans les priver de leur atmosphère particidière. Cette manière de représenter nous fait comprendre que les tableaux de ce genre ont pu atteindre, au moins provisoirement, quel­ques amateurs de peinture qui ont compris et pardonné les extravagances mineures de l'artiste. Parmi les motifs ainsi traités, mentionnons en premier lieu les saules dont l'image est étroitement associée aux tombeaux dans la peinture sentimentale, à partir du biedermeyer. Sur les ta­bleaux de Kohán ils s'alignent sur la rive comme autant de têtes de poulis aux poils en broussaille. Leurs masses sommairement présentées sont loin d'évoquer les saules aux branches minces, mollement agitées par le vent, symboles de la mort et du deuil. Pourtant, ces formes de chiens à grosse caboche nous font penser par leur couleur, un jaune terne, à un après-midi d'automne, à l'adieu que l'on fait à la chaleur et à la lumière. Ainsi, bien que d'une manière indirecte, elles nous mettent inévitablement en présence du drame de la séparation. L'impression qui se dégage des thèmes de cette espèce se trouve encore ren­forcée par la simplicité et la condensation de plus en plus marquée des formes et des couleurs. Le gris de plomb uni du ciel couvert annonçant l'orage pèse plus lourdement sur le moulin à vent solitaire et sur les corneilles tournoyant au-dessus des meules que ne ferait un ciel dans lequel des étincelles éclateraient entre les nuages sinistres, bousculés par le vent. Sur une de ses toiles de jeunesse, dans la cuisine d'une maison paysanne, son logis et son atelier, la lumière jaune d'une lampe à pétrole noyée dans l'ombre et, au-delà de la fenêtre, le bleu du crépuscule semblent se répondre. Pour Kohán cela n'est pas un problème du contraste du jour et des couleurs, de l'intérieur et du plein air, mais plutôt l'expression de l'angoisse née de l'antagonisme de l'intérieur et du dehors, du sentiment de la sécurité et du sentiment de la détresse. Ce contraste inhérent au contenu apparaît encore, très nettement, sur une autre peinture de jeunesse, la Porte ouverte. Sur ce tableau, la fenêtre d'une chambre à l'atmos­phère et aux couleurs sereines donne sur des ruines bai­gnant dans la lumière du jour. Ce spectacle réveille en nous le souvenir de la guerre, il nous arrache à l'idylle d'un foyer heureux et nous plonge brutalement dans le thème poignant des foyers détruits par le feu. De telles impressions inatten­dues nous saisissent déjà dans les toutes premières œuvres de Kohán. Elles n'y surgissent pas comme des effets cal­culés à l'avance, elles y apparaissent nécessairement parce que provoquées par le contenu lui-même. Cette manifestation des contraires s'accentue d'une façon curieuse sur les tableaux faits sur commande. La ballerine nous en offre un bon exemple. Le peintre dut, à la demande ultérieure de son client, enlever le tutu de la danseuse occupée à enlacer ses sandales et le remplacer par une longue robe décente. Il le fit, mais n'en resta pas là. Il chaussa sa danseuse de bottines montantes, lui fit relever sa jupe d'un geste caractéristique de la grivoiserie de la fin du siècle et transforma les accessoires de cirque qui en­touraient la danseuse sur le tableau original en des objets désuets à peine reconnaissables dans la pénombre. L'at­mosphère romantique ainsi créée pourrait être expliquée par l'anecdote suivante : Une écuyère démangée par la curiosité s'est glissée furtivement dans le grenier d'un château seigneurial ; là, elle s'est vêtue d'un costume porté peut-être par une des aïeules des propriétaires du château ; ainsi accoutrée, elle s'est pavanée un moment, a pris des allures de châtelaine avant qu'elle soit partie dans ce faux apparat avec la troupe du cirque ambulant. Les scènes gênantes et attendrissantes à la fois aux­quelles la rencontre des représentants de deux castes sociales différentes donne souvent lieu continueront d'oc­cuper l'imagination du peintre sans qu'il ait besoin des instructions de quelque client. Un de ses tableaux représente la grande salle magnifiquement meublée d'un château avec une petite fille qui, vêtue d'une robe longue, portant chignon et les pieds nus, est assise, dans une position gauche, devant un imposant bureau où elle écrit une lettre sur un bout de papier. L'artiste nous a résumé ainsi le sujet de sa composition : « La petite servante s'est intro­duite dans la salle quand les maîtres étaient absents. » L'esquisse qui a préparé le tableau a été faite au cours d'une réunion interminable où, pour tuer le temps, l'artiste s'est mis à dessiner la sténographe sans aucune intention de la mettre dans une anecdote. C'est ce don de l'arrangement, de la transposition poé­tique qui était deviné par un client quand, en mécène généreux, il a pourvu le jeune artiste de toiles fines, de couleurs et de pinceaux et lui a indiqué le sujet suivant : « Un couple d'amoureux sur la rive du Tibre ». Pour qu'il sache à quoi il doit s'en tenir dans l'exécution du tableau, il lui exprime encore son désir : « Je veux que l'arbre soit vert, la meule jaune et la terre brune ; les couleurs telles que vous les voyez, vous pourrez les utiliser quand vous serez devenu un grand peintre. » Là-dessus, Kohán s'est mis dans la position d'un maître de la peinture baroque.

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