dr. D. Fehér Zsuzsa - Kabay Éva szerk.: A Magyar Nemzeti Galéria Közleményei 2. szám (Budapest, 1960)

mant les précédentes. Nous lui empruntons le passage suivant : « Le Déjeuner sur Vherbe est l'expression la plus complète de la force créatrice, de la joie de vivre et de l'optimisme de Szinyei âgé alors de 28 ans. Ce même sujet, des concerts champêtres sans musique 1 , a été traité par d'autres peintres aussi : par Manet en 1863 (fig. 28.), par Monet en 1806 (fig. 29.), par l'allemand Albert Keller en 1873 et par Courbet les précédant tous, en 1856, dans son tableau Les Demoiselles au bord de la Seine (fig. 30.). Mais le tableau de Szinyei ne s'apparente réellement à aucun de ces tableaux. Le Déjeuner sur Vherbe est une oeuvre personnelle se distinguant par son originalité non seulement des oeuvres créées dans le même milieu, mais aussi d'autres oeuvres contem­poraines. En quoi consiste son originalité? Avant tout dans son coloris. Au début, Szinyei eut l'idée de couleurs plus ternes, mais mieux accordées, nomme le prouve sa merveilleuse esquisse faite em 1872. D'après ses propres aveux, ce fut sous l'instigation d'un ami, Böcklin, son voisin d'atelier, qu'il se décida à intensifier ses couleurs, changeant le mauve de la couverture en rouge ardent, le vert tendre de l'herbe en un vert acide et plus foncé et, procédant de la même manière pour les autres, il fit monter d'un ton chaque couleur. Mais nous ne trouvons ni chez Böcklin, ni chez aucun de ses contemporains, la pompe, la beauté et l'audace des couleurs éclatantes du Déjeuner. Il est impossible de ne pas reconnaître dans cette orgie de couleurs, une réminiscence orien­tale, et dans l'éclat et l'ardeur des tons, une chaleur spontanée caractéristique pour toute 1 la peinture hongroise. A l'Occident un tel tableau est presque impensable et nous pouvons affirmer sans nous tromper que, si Szinyei a bien appris à s'exprimer à Munich, ses idées, il les tenait de son terroir. La composition du Déjeuner, ce groupe serré des figures, parterre fleuri au milieu du gazon vert est non moins originale. D'après ce que nous savons, Szinyei est aussi très original par la disposition de ses figures non pas sur le même plan, mais sur un versant, ce qui lui permet de les placer l'une au-dessus de l'autre et d'éviter ainsi de les couper les unes par les autres. De même, nous chercherions en vain chez d'autres peintres ce même procédé d'achever la composition dans la partie supérieure du tableau par un paysage clair, souriant, ensoleillé, se détachant très nettement du versant plus sombre, couvert, à moitié, d'ombres et produisant ainsi, par le contraste, un effet plus vif. Une autre différence à noter, c'est la grande force symbolique du tableau par rapport aux oeuvres pouvant lui être comparées. Szinyei écrit dans une de ses lettres qu'en peignant le Déjeuner, il eut tout simplement l'intention de peindre un beau jour d'été, donnant de la joie à des citadins en excursion. Mais, sans le vouloir, il exprima davantage. Non seulement le tapis fleuri du gazon, mais tout le tableau proclame le renouveau, la floraison du printemps. La légèreté et les e;ouleurs claires des robes, le bleu tendre et les nuages vaporeux du ciel, le jeu capricieux de la lumière et des ombres («Sur les champs des ombres et des taches de lumière s'entremêlent » — e-omme dit le poète Arany), l'intimité de la (compagnie et sa joie, tout cola se confond dans un sentiment unique nous faisant participer au bonheur de la jeu­nesse et à la joie de vivre, mieux que n'importe quelle représentation allégorique. Dans les autres tableaux du même sujet, nous ne voyons que des figures étendues ou se mouvant dans la nature. Szinyei dépasse; ce sujet assez banal et exprime avec; une force symbolique, en même temps que son objet concret, des idées qui généralement sont représentées par des figures allégoriques. Le Déjeuner sur Vherbe est la synthèse de la conception de la nature de Szinyei à cette époque et réalise parfaitement ses aspirations d'artiste. » D'un ouvrage consacré par Pál Pátzay à Szinyei, nous citerons ce passage remarquable : « Le Déjeuner est le chef-d'oeuvre de Szinyei. U concentre tout le talent, toute l'originalité et toute la nouveauté de son auteur. U est toute beauté et vérité par sa lumière, par l'intensité de ses couleurs et par la signification attachée à son thème. Avec cette oeuvre Szinyei vient en tête de la peinture européenne. U pose le problème du plein air et le résout d'un seul coup. Avec lui, l'art hongrois se rattache directement et sur un pied d'égalité, à l'art universel contemporain. Dans le Déjeuner sur Vherbe Szinyei parvint à créer, par l'éclat du coloris dans lequel l'intensité de chaque e'oulemr est augmentée par l'intensité de toutes les autres couleurs, une merveilleuse vision qui tout en représentant le motif dans son objectivité, fait une profonde impression d'ensemble picturale et répand, avec; solennité, la sérénité d'une joie de vivre toute païenne. Ce tableau est la découverte ingénue et à la fois l'accomplissement de la poésie de l'exis­tence comme les statues grecques de la première période qui ne cessent pas d'agir sur les spectateurs et de répandre autour d'elles le bonheur. Lorsqu'il fut découvert, les premiers propagateurs enthousiastes de son talent considéraient Szinyei comme le précur­seur de l'impressionnisme triomphant et prenaient le Déjeuner sur Vherbe pour le premier tableau impres­sionniste. En mettant l'accent sur son rôle historique dans l'évolution de la peinture, ils soulignaient, à tort, ce que l'importance de cette oeuvre avait d'équivoque. Le Déjeuner ressemble en effet très peu aux tableaux impressionnistes proprement dits.

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