dr. D. Fehér Zsuzsa - Kabay Éva szerk.: A Magyar Nemzeti Galéria Közleményei 2. szám (Budapest, 1960)

et de quelques autres tableaux moins importants qu'il avait l'intention d'exposer. Fin juillet il se mit à peindre son grand tableau. Tout d'abord il peignit de mémoire le paysage, mais il s'aperçut que la valeur du vert du gazon ne corres­pondait pas à sa vision. Alors, sur le conseil de Bock­lin, il effaça tout et donna au versant de la colline une couche faite de cadmium et de blanc de Krems, et au ciel, une couche de blanc en glacis. Sur la couche fondamentale verte il posa successivement toute une gamme de verts différents ce qui prêta à la pelouse une vie intense et des mouvements. Il peignit les ombres avec du bleu sur le fond vert. Il laissa en blanc la place des figures et la couvrit ensuite d'une couche d'un blanc sale. Le gazon est animé par des fleurs dispersées ça et là : des laitues de chien, des renoncules aux fleurs jaunes, des chicorées sauvages aux fleurs bleues et quelques coquelicots. Les touches de pinceau faisant naître dans le gazon vert cette multitude de petites fleurs et d'arroches vertes non seulement par des taches de couleur, mais aussi par des formes particulières à chacune, montrent quel don de l'observation et quelle fidélité de mémoire avait notre peintre. Pour tout dire, dans le tableau de Szinyei tout se comprend et tout a une signification. On n'y trouve point de ces touches de pinceau incertaines, informes, dénuées de sens qui ne servent qu'à dissimuler par la technique de la peinture, le vide et l'indécision de l'oeuvre. La vision et la mémoire de l'artiste lui interdisent de négliger même les détails les plus singuliers, par exemple celui de la crête argileuse, jaunâtre se dérou­lant en ruban mince au-dessus du champ de seigle. A ce point de vue, il est intéressant de citer la- décla­ration de Szinyei faite en 1906 à la revue Hét (la Se­maine) : « C'est- Böoklin qui m'a encouragé à peindre de mémoire. Le tableau que j'estime le plus, le Déjeuner sur Vherbe, je l'ai peint en hiver, à Munich, dans le voisinage de Böcklin. Je no pouvais pas travailler d'après nature, mais mes impressions et mes souvenirs étaient toujours très vifs. J'avais alors une si bonne mémoire qu'il me souvient d'avoir vu sur le mur blanc où je portais par hasard mon regard, la silhouette verte, c'est-à-dire la couleur complémentaire d'une fleur rouge dont je voulais évoquer la forme. P en est de cela comme de la musique : nous oublions une mélodie, nous avons beau essayer de nous la rappeler, elle ne revient que quelques jours après et à l'impro­viste, et nous ne pouvons plus nous en détacher. Dans ses impressions, il en va de même pour le peintre. Se rendant sur le motif, il lui arrive quel­quefois de perdre le contact avec sa palette pour avoir trop longtemps regardé, dans une lumière trop intense, certains détails troublants : il est in­capable alors de rendre la couleur qu'il retrouvera facilement plus tard, dans son atelier. Il va sans dire qu'il est dangereux de peindre uniquement de mémoire parce que cette méthode de travail conduit au manié­risme. La nature est une source d'inspiration inépui­sable pour nous, sans elle, notre boîte de couleurs se dessèche. Ce sont ces temps-là et dans ce milieu d'artistes que je reçus ma formation. Les principes que je professais alors ont été modifiés plus tard par l'expérience, mais le fond en est resté intact. J'ai compris que notre art ne peut avoir d'autre but que do suivre fidèlement la nature, dans la mesure de ses moyens imparfaits. Les couleurs de notre palette sont limitées. C'est le blanc de Krems qui en est la couleur la plus lumi­neuse. Mais celui-ci aussi est encore loin de l'intensité de la lumière. Pour notre bonheur, non seulement nos moyens sont faibles, mais aussi nos yeux : on peut les tromper. Avec les moyens faibles dont il dispose, l'artiste peut tromper l'oeil et lui donner l'illusion de la réalité. Si nous enlevons à l'art ce qu'il a d'accessoire, ce qui reste, c'est, je crois, cette ambition élémentaire et profonde. Je me rendais compte dès le début qu'en mettant le blanc de Krems, je n'arriverais jamais à atteindre l'intensité de la lumière du soleil, mais je savais aussi que la connais­sance approfondie et l'étude des couleurs complé­mentaires m'aideraient à tromper l'oeil et à lui don­ner l'illusion de voir un paysage baignant dans la­lumière. Les plus grands maîtres de l'art ont reconnu de bonne heure qu'il était impossible d'imiter, de copier la nature. L T n objet reproduit exactement par le dessin et par les couleurs, ne fait pas la même im­pression sur la toile que dans la réalité. Par contre une tache de couleur habilement posée peut donner à l'oeil l'illusion de l'objet lui-même. La photo­graphie ne pourra jamais rivaliser avec l'art car la photographie a- beau être fidèle, elle ne peut jamais si bien tromper l'oeil que la peinture dont les ressources sont inépuisables malgré l'insuffisance de ses moyens. A mon avis, la- peinture dispose de deux choses très importantes. L'une est la couleur. La couleur n'est pas une difficulté pour l'artiste, elle est au contra-ire, selon moi, une facilité pour lui. J'ai toujours été convaincu que la couleur est un moyen beaucoup plus approprié, plus puissant, plus souple que la ligne. Avec elle on peut tout exprimer. Les anciens maîtres commençaient par tracer un dessin exact, d'abord le nu qu'ils enveloppaient de vêtements et ils terminaient en posant les couleurs. Moi, d'habitude, je travaille à rebours. Je ne fais qu'esquisser au fusain le paysage et les figures et

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