dr. D. Fehér Zsuzsa - Pásztói Margil szerk.: A Magyar Nemzeti Galéria Közleményei 1. szám (Budapest, 1959)
lité, que cela n'était pas une « affaire correcte ». On voit que Derkovits n'était pas, en réalité, un excellent homme d'affaires mais non pas dans le sens indiqué par Endre Nagy. Disons simplement qu'il ne savait pas se défendre contre la rapacité des esprits mercantiles. Un seul exemple ne prouve rien, dirait-on. Voyons donc d'autres cas se rapportant aux « prix irréels » de Derkovits et à son « habitude de ne pas en rabattre ». Un accord écrit de la main même de Derkovits et portant la signature autographe du Dr. L. Szondi atteste que « le sous-signé achète pour la somme de 600 P soit six cents pengős le tableau intitulé les « Bâtisseurs » et exposé à la galerie Tamás au prix de vente de 1000 P. La somme de 600 P. est payable en mensualités de 50 P. » 65 Un autre exemple : l'architecte M. Leszner lui achète en mars 1934 deux tableaux dont l'un, le « Porteur de briques » pour 240 P. payables en mensualités de 20 P et l'autre le «Graveur sur cuivre» pour 100 P payables en deux mensualités de 50 P chacune. Il le confirme par écrit et ajoute: «J'ai donné 40 P d'arrhes » 66 . Dans le catalogue de 1932 de la Galerie Tamás, les prix indiqués pour le « Porteur de briques » et le « Graveur sur cuivre » sont de 300, respectivement de 500 P. — C'est suffisant peut-être, pour le moment. Après les preuves que nous avons apportées, on est forcé de se rendre à l'évidence que « la légende Derkovits » est l'antipode de la vérité. Nous ne voulons pas mettre en doute la bonne foi de certains parmi ceux qui l'ont répandue mais il nous est impossible de ne pas flétrir le procédé malhonnête de ceux qui l'ont inventée et résolument propagée. Comme on ne pouvait pas entamer l'art supérieur de Derkovits puisque les hautes qualités de ses oeuvres ont été reconnues même par ses adversaires idéologiques, on a d'abord passé sous silence ses « idées nuisibles » puis on les a déclarées « une charge superflue » et on a essayé de discréditer l'homme. En 1934, lorsqu' à l'exposition de ses oeuvres posthumes le Musée des Beaux-Arts acquit les « Générations » pour 950 pengős, un journal de boulevard a publié un reportage sensationnel sous le titre : « L'État a payé mille pengős pour une peinture de Derkovits, mort de faim ». « Une année plus tôt, disait l'article, on aurait pu sauver probablement sa vie avec cette somme». 67 Il y a beaucoup de vérité dans cette phrase. La cause immédiate de la mort de Derkovits fut une faiblesse cardiaque provoquée par une pneumonie foudroyante. Mais les causes lointaines qui les ont amenées et leur ont facilité le développement, ce furent, sans aucun doute, la misère et la faim qui raccompagnait. Parmi les gens dénués de ressources et les hommes de la rue. le sort d'un grand nombre de personnes fut, à cette époque, tout pareil à celui de Derkovits. Les journaux étaient remplis de sensations d'un tel genre. Si le « cas Derkovits » sortait des faits quotidiens, c'était à cause de sa « répercussion culturelle ». Pour le snobisme du « régime des seigneurs », ce fut un fait très pénible. Mais, au fond, ce n'était qu'une honte vite passée. Le bruit fait par la presse se calma bientôt et l'affaire Derkovits fut classée. Elle est devenue une affaire privée des beaux-arts hongrois. L'année même de la mort de Derkovits, un critique d'art bourgeois renommé a publié un petit livre sur lui où il a essayé de rendre stérile le contenu révolutionnaire de l'oeuvre du peintre. Il suffira d'en citer quelques phrases pour montrer le caractère véritable du livre : « Ce fut en vain que Derkovits s'attacha à une certaine caractéristique prolétarienne extérieure, — tous ses efforts sont restés vains : elle ne s'est pas réalisée dans des faits et n'a pas été exprimée dans le sens des images de ses peintures ... la conception qu'il se faisait de la qualité du peintre lui a permis de se débarrasser de cette « insistance sentimentale » epio la répétition du thème signifiait pour lui. Désormais, les luttes soutenues par lui avaient un but unique : retrouver la forme d'expression artistique adéquate. Ces luttes jouaient sur la toile, entre les matériaux de la peinture et les moyens d'expression de la création artistique. Dans les dernières années de sa vie, Derkovits a employé toutes ses facultés à un seul but, à exploiter le colorisme et son inspiration ne lui a servi qu'à l'accomplissement de la pensée par la forme . . . son lyrisme profond, ayant son but en soi-même, pouvait s'épanouir » fi8 . L'auteur que nous avons cité n'était pas seul à accréditer cette opinion, il a seulement exprimé, dans un style élevé, les idées dont la bourgeoisie s'était servie pour fausser et défigurer le caractère véritable du maître. Avec une logique outrecuidante, la bourgeoisie a essayé de transformer le peintre réaliste prolétarien en un artiste de l'art pour l'art. Mettons les points sur les i : la bourgeoisie ne voulait accepter qu'un Derkovits épuré, rendu inoffensif et partageant sa manière de voir. A vrai dire, même à ces conditions-là, il ne fut adopté que par les bourgeois d'esprit avancé qui reconnaissaient en lui un grand artiste et ne voulant pas renoncer à lui, finirent par l'adapter en l'expliquant selon leur manière de voir et de penser : surtout après la mort de Derkovits quand ils ne furent plus menacés de se voir démentis par le principal témoin à charge. La vie et la carrière de Derkovits démontrent que son art et l'artiste lui-même furent un corps étranger et irri-