dr. D. Fehér Zsuzsa - Pásztói Margil szerk.: A Magyar Nemzeti Galéria Közleményei 1. szám (Budapest, 1959)

pretend que Derkovits a « chassé les acheteurs par la méfiance et par un orgueil d'artiste qu'il s'est refusé à freiner ». Il croit en donner une preuve éclatante en racontant dans tous ses détails la scène incontrôlable qui se serait passée à l'Hôtel de Ville. Pour nous, les données numériques seules importent pour le moment. Selon l'auteur, la ville de Budapest aurait offert « sept cents pengős » pour la peinture, Derkovits en aurait demandé « quinze cents » et, fina­lement le peintre l'aurait cédée à « douze cents pen­gős ». Endre Nagy croyait que les injustices que Der­kovits avait subies dans sa vie ne fussent qu'une légende qu'il fallait dissiper. Il ne se rendait pas compte que, par son article, il allait contribuer à la propagation des affirmations qui sont des mythes mais ne cessent d'être répétées jusqu'à nos jours. La « fable » du « Pont en hiver » était encore tellement vivante en 1948 que J. Kopp, administrât oui' général des musées de la ville de Budapest à cette époque, n'a pas hésité à la reprendre dans une déclaration faite à la presse à propos du « Pont en hiver ». « Je pour­rais dire, déclarait-il, que Derkovits a élevé autour de lui un mur impénétrable par son sublime orgueil de classe. Je me rappelle très bien, peu de temps avant sa mort, sur mandat du bourgmestre de l'époque, je lui ai acheté, pour la Galerie municipale de Buda­pest, son tableau intitulé le « Pont en hiver». Nous lui avons payé le prix, 2000 pengős » liü . Suit un récit dramatique où J. Kopp raconte qu'au bout de quel­ques jours, Derkovits est revenu pour reprendre son tableau parce qu'il «l'aimait beaucoup ». Il ne nous est pas possible de contrôler ces détails, donc nous ne les reproduisons pas même s'ils sont susceptibles de produire un grand effet . Nous ne citerons, pour terminer, que le mot de la fin du reçut : «Il était un homme possédé. » Sans doute, mais pas tout à fait dans le sens que J. Kopp prêtait à cette épithète. Si l'ancien administrateur général, un jour, veut bien entr'ouvrir le registre d'inventaire de l'année 1934, sous le numéro 9982 il y trouvera noté les 400 pengős à la place des 2000 pengős fabuleux. Si Derkovits est devenu défiant et soupçonneux au cours de sa vie, il avait ses raisons de l'être. Il était conscient de la valeur de son aid et savait que ses tableaux valaient autant que ceux des meilleurs artistes hongrois, ses contemporains. Il s'indignait à juste titre lorsque des collectionneurs lui offraient un prix moins élevé qu'aux autres. 11 se sentait blessé dans sa dignité quand les « mécènes » lui proposaient des dons charitables à la place de la contre-valeur équivalente à la côte du jour. Si, par réaction psycho­logique naturelle, il lui arrivait d'accueillir les collec­tionneurs de la bourgeoisie avec de la méfiance et de l'aversion, c'est qu'il voyait en eux, non sans raison, le financier intéressé et calculateur et non l'amateur enthousiaste. Il lui répugnait de leur céder ses créations. 11 fallait engager la lutte contre cette répugnance, et la vaincre. Sa misère l'y obligait. Pour confirmer ce fait, nous citerons un cas facile­ment contrôlable. En 1932 Derkovits forma le projet d'organiser une exposition d'ensemble de ses oeuvres à la Galerie Tamás. Nous savons que ce fut l'époque où il pro­duisit le plus. Et il vivait dans la misère. Pour se tirer de la gêne, il se rendit chez H. Tamás 61 avec trois tableaux sous les bras, choisis parmi les meilleurs et les plus beaux : le « Mangeur de pastèque », « Tête de femme avec fichu » et « l'Ennui » 6 ' 2 . Il avait espéré les vendre à Tamás et pouvoir discuter avec lui les conditions de l'exposition projetée. Un accord fut signé. Dans l'écrit que nous conservons dans notre recueil de données, il est dit entre autres : « . . .pour les locaux d'exposition je payerai la somme de 300 pengős que je réglerai, de même que les frais d'encadrement, par des tableaux . . . Afin d'éviter les contestations éventuelles par rapport aux prix des tableaux, je fixe d'avance les prix des tableaux ci-après indiqués et les frais des locaux et les dépenses de l'encadrement seront réglés sur la base du prix do ces tableaux ». Encore un passage : Derkovits consent à ce que Tamás lui compte les cadres selon les prix indiqués sur les échantillons c'est-à-dire aux conditions du payement comptant. 63 Au bas de la page, parmi les tableaux dont le prix a été fixé d'avance, figurent la «Tête de femme au fichu» et le « Mangeur de pastèque » au prix de 100 P (cent pengős) chacun. H. Tamás lui verse immédiate­ment le « prix » de l'un de ces tableaux pour « don­ner une aide » au peintre se trouvant dans la gêne. On connaît l'effet que la signature de l'accord exerça sur Derkovits. Il est raconté par sa veuve : « Après le marchandage difficile, Gyula revient d'humeur morose. «A partir d'aujourd'hui, dit-il, je ne toucherai plus au pinceau ...» et il jette par terre son porte-monnaie dont s'échappe le billet de 100 pengős plié et replié. Nous le regardons sans dire mot. Personne ne se baisse pour le ramasser ». Au lieu de commenter le fait, nous reproduisons quelques passages du catalogue de l'exposition ouverte à l'automne de la même année : « La, Galerie l'amas, restée fidèle à son but artistique, ne fait que remplir son programme en ouvrant sa cinquième saison par l'exposition des oeuvres de cet artiste génial ». Dans le catalogue, aux titres des tableaux dont le prix a été fixé à « cent pengős » on lit : No 7. « Mangeur de pastèque » 400 P, No 14. « Femme au fichu rouge» 300 P, No 15. «L'Ennui» 1000 P 64 . Nous pensons pouvoir affirmer, sans être accusé de partia-

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