dr. D. Fehér Zsuzsa - Pásztói Margil szerk.: A Magyar Nemzeti Galéria Közleményei 1. szám (Budapest, 1959)

convaincre qu'après la Libération aucune distinction n'a été faite entre les artistes communistes ou non, contrairement à l'époque bourgeoise où vivait Der­kovits. Il n'est pas sans intérêt de voir d'un peu plus près l'histoire des sept tableaux de Derkovits acquis par nos musées avant 1945. Soulignons tout d'abord que le mérite de l'achat des quatre tableaux pour le Musée des Beaux-Arts, et la reconnaissance officielle dont il était, pour ainsi dire, l'expression, doivent être attribués à Elek Petrovics, administrateur géné­ral du Musée. Si cet homme illustre, de jugement sûr et d'esprit avancé, n'avait pas présidé au destin du Musée des Beaux-Arts de Hongrie, P oeuvre de Derkovits aurait été encore plus mal représen­tée dans nos collections publiques. Il faut remarquer en passant que Derkovits a été « découvert » dès sa première apparition dans la vie artistique de Budapest. Il a débuté dans une exposition collective en 1920. Artúr Elek, l'un des critiques d'art les plus renommés, a reconnu aussitôt son talent exceptionnel : « Gyula Derkovits est un homme nouveau : chacune de ses touches prouve son talent « — écrivait-il 44 . Depuis cette époque, on a écrit beaucoup sur lui à tort et à travers, mais personne n'a jamais soulevé de doute sur son talent, on l'a considéré même, bientôt, comme l'un des meilleurs artistes de l'avant-garde. Le premier achat pour le Musée des Beaux-Arts a été fait en 1926. A l'exposition de la Nouvelle Société des Artistes, l'une de ses gouaches de dimen­sion moyenne, peinte à Vienne, avait attiré l'atten­tion d'Elek Petrovics. C'était le carton de «Mon frère aîné et sa femme » exposé par le jury sous le titre de la « Vie et la Mort » malgré la protestation du peintre. 40 Petrovics écrivit sous peu à Derkovits : « je serais heureux d'insérer votre tableau parmi les oeuvres qui doivent représenter chez nous les ten­dances nouvelles », disait-il dans sa lettre. 46 Der­kovits était tellement dénué de ressources qu'il partit à pied d' Újpest pour apporter le tableau au Musée des Beaux-Arts, Place des Héros. Il reçut pour la gouache huit millions de couronnes à l'époque où une forte inflation avait déjà beaucoup diminué la valeur de la monnaie hongroise 47 . Mais c'était la même somme que le Musée payait à l'époque pour les oeuvres des meilleurs artistes modemes hongrois. Derkovits avait un grand besoin de l'argent. Avant de le toucher, il plaisanta qu'il ne pourrait acheter avec cet argent qu'une petite fournée de « crois­sants à la presbourgeoise » dans une pâtisserie. En réalité, il n'en acheta qu' un seul, mais il se procura pour son travail tout le matériel dont il avait besoin. Avec de l'encre de Chine il fera, en 1926 et en 1927, des dessins remarquables et sera largement pourvu de couleurs pour ses tableaux futurs. 48 Le succès que représentait l'achat de sa gouache par le Musée lui donna un élan nouveau et les moyens matériels pour son travail. En 1927, il présenta ses oeuvres en rétrospective au Musée Ernst, dans le cadre d'une exposition collective. Comme la presse de l'époque en témoigne, il connut un vif succès. Ses idées artistiques exposées dans l'introduction du catalogue et que nous analyse­rons dans la deuxième partie de notre étude, durent être très remarquées. C'est peut-être pur cela que ni la Ville ni l'Etat ne lui ont rien acheté pour les col­lections publiques. Après la fermeture de l'exposition, sur le conseil d'un de ses confrères, il décida de demander à la ville de Budapest d'acheter sa toile de grand format, intitulée « Moi et ma femme ». Il porta la toile lui­même à l'Hôtel de Ville, mais on ne la lui acheta pas. 50 En 1928, vivant dans la gêne et poussé par le même confrère, il sollicita une aide de la Ville. On trouva sa demande « motivée et équitable » et on lui octroya un subside ridicule de 200 pengős sur les crédits prévus dans le budget au titre de sub­ventions aux artistes. 51 C'était de montrer la corde à l'homme qui allait se noyer sans la lui jeter. Derkovits fut exaspéré à juste raison ; au lieu de lui acheter des tableaux exécutés avec beaucoup de talent et d'hon­nêteté, on lui accordait une aide misérable. Ce fut une injure cruelle à sa dignité d'homme et d'artiste. L'année suivante, il exposa ses nouveaux tableaux à une exposition d'ensemble et connut un vif succès mais ni l'État ni la Ville de Budapest ne lui achetè­rent rien. Pourtant, il était déjà de toute évidence que ses oeuvres étaient d'une valeur durable et comptaient parmi les meilleures pièces de la peinture moderne hongroise. Enfin, le Musée des Beaux-Arts lui acheta, en 1930, la peinture à l'huile intitulée « la Voie est libre ». Au catalogue, le prix indiqué était 400 pengős et le musée l'acquit pour cette som­me. Trois années avant, à l'exposition de la Nouvelle Société des Artistes, 52 le prix de ce tableau était encore 800 pengős. Au temps de la misère, on le diminua de moitié ; mais ce qui devait compter surtout pour lui, ce fut le succès moral. Pour l'achat suivant, il fallait attendre jusqu'en 1932, quand le Musée des Beaux-Arts acquit pour sa collection l'un de ses chefs-d'oeuvre «Sur la voie ferrée ». Le choix était excellent. C'était pour ce tableau que la Société de Paul Szinyei Morse avait décerné à l'artiste, en 1932, le prix de paysage. 53 Ma­tériellement, le prix no lui rapportait que cent pengős 54 , mais il avait une très grande valeur morale puisque c'était une société illustre de peintres qui avait

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