Scientia et virtus. Un commentaire anonyme de la Consolation de Boece. Introduit et publié par Sándor Durzsa (A MTAK közleményei 5. Budapest, 1978)
15 ratio intelligendi /logique/ et de l'ordo vivendi /éthique/. C'est cette explication augustinienne qui prête à l'ensemble de la philosophie son caractère religieux et théologique. Au moyen âge, cette classification ternaire se retrouve chez beaucoup d'auteurs, par exemple chez Cassiodore, Isidore, Bède le Vénérable, Alcuin, Raban Maur. Jean Scot Erigène y rattache aussi la théologie comme science; Gilbert de laPorrée la combine avec la classification aristotélicienne qui apparaît aussi chez Jean de Salisbury, chez Albert le Grand et chez saint Bonaventure. L'intérêt de la classification des sciences que présente notre commentaire, est qu'il combine la classification considérée comme platonicienne avec celle qui remonte à Aristote. Il constate notamment: "Per physicam enim continet très speculationes, naturalem videlicet et mathematicam et theologicam". (32) La classification d'Aristote divise les sciences en deux grands groupes, l'un théorétique et l'autre pratique, et dans le groupe théorétique il distingue la physique, la mathématique et la métaphysique. Le moyen âge a pris connaissance de cette classification dans l'opuscule théologique int. De Trinitate de Boèce. C'est en se référant à lui que Gondisalvi, qui enseignait au milieu du XII siècle, a ravivé cette division ternaire dans un ouvrage à part consacré à la classification des sciences. (33) 4. Il est très intéressant, du point de vue épistémologique, ce que notre auteur anonyme constate sur les limites de l'intellect: "Sunt autem in ipsa naturali speculatione et mathematica rationes occulte in mundo, in theoloyca vero rationes occulte in celo. Has autem et illas nemo per investigationem haurire potest." (34) Cette constatation veut dire que les secrets indiqués du ciel et de la terre ne peuvent être épuisés par l'intelligence, qu'ils ne peuvent être approchés que par la foi. En ce qui concerne la possibilité de connaître et les limites de l'intellect, on peut lire encore d'autres distinctions subtiles dans ses constatations relatives à la conformation et la situation dans l'espace de la philosophie. Quant au texte boécien — selon lequel la conformation de la philosophie est "statura discretionis ambiguë", — il l'interprète en affirmant qu'elle ne se situe pas dans le même espace. Une partie est dans la région inférieure qui est compréhensible, et une autre partie dans la région supérieure qui est moins compréhensible et une troisième partie dans la région la plus élevée qui "penitus incomprehensibile est". Il concrétise davantage cette disposition en trois couches de la connaissance dans la suite de son commentaire sur le texte boécien en y combinant aussi la classification des sciences /"naturalis speculatio inferiorum et superiorum, moralis disciplina imperfectorum et perfectorum, logica speculatio verisimilium rationum et rationum necessariarum, theologica speculatio rerum incomprehensibilium."/(35) Ces thèses du commentaire sont importantes parce que, dans la pensée du XII siècle, les limites de l'intellect humain, les rapports du savoir et de la foi étaient des problèmes souvent traités et débattus. Il suffit de renvoyer ici à un ouvrage d'épistémologie composé dans la première moitié du XII e siècle, dont nous connaissons la partie initiale par un manuscrit de Bamberg.(36) Selon ce texte, la voie qui mène à la forme suprême de la