Szilágyi András (szerk.): Ars Decorativa 17. (Budapest, 1998)

Lőrinc VAJDA: Une tapisserie française du XVIe siecle. Le personnage du roi Salomon de l'Ancien Testament en tant que „modele" d'un cryptoportrait d'Antoine de Bourbon, roi de Navarre

corne d'abondance à la main. Cette dernière rappelle de façon bien plus pro­noncée le personnage allégorique tra­ditionnel á'Abundantia que celle de la fiancée-reine du Cantique des cantiques, et par là, elle rend possible, voire suggère une interprétation de la représentation en tant qu'allégorie du règne d'un souverain sage et juste, c'est à dire de la paix, de l'abondance et de la prospérité qui en résultent. 9 A ce point, il nous semble utile d'exa­miner de près un phénomène qui - ainsi que l'a démontré de manière convaincante une étude philologique contemporaine - fit du Cantique des cantiques un élément d'une certaine rhétorique élaborée pour soutenir quelques tendances et aspirations politiques aux XV e-XVI e siècles en France. 10 Lorsque le 2 août 1517. François I er visite Rouen, la ville normande en fête lui offre une brève mise en scène. Une description détaillée de ce spectacle nous est parvenue sous forme imprimée, ce qui nous permet de connaître exactement quels étaient les décors de la scène provisoire ainsi que l'action qui y fut représentée. Selon cette description, «Le théâtre estoit faict en forme d'ung beau jardin qui povoit estre dit: Ortus deliciarum. Il estoit plain de vigne et grappes vertes et noires, de courges, feuilles et fleurs et fruit, de rosiers et roses blances et vermeilles et aultres fleurs et verdure et tant bien ordonnées et si artificiellement faictes quelles sembloient estre naturelles.» Au point le plus élevé du jardin se tint une jeune fille de grande beauté représentant la Vierge Marie habillée d'une superbe robe brodée de lys d'or. Elle tint une branche de palmier à la main, et deux anges debout à sa droite et à sa gauche tinrent une couronne au-dessus de sa tête. Dans la partie inférieure du jardin, on pouvait voir une petite colline plantée de lys au milieu desquels un agneau était en train de paître; en signe d'ado­ration, il s'approcha d'abord de la Vierge, et ensuite du roi (c'est-à-dire de ceux qui les personnifiaient). On pouvait également voir deux fontaines ou sources dans le jardin, à propos desquels l'auteur de la description fait la remarque suivante: «Jasoit que [quoique] par le jardin on peult entendre paradis, aussi peult on entendre Normendie arrousée de deux fontaines de Justice et Charité par lesquelles florit. Et l'aigneau passant entre les lys représente, comme diet est, Rouen conduit et gouverné soubz la couronne de France.» L'in­scription suivante complète la scène: «Dilectus meus pascitur inter lilia. Canticorum secundo » (Mon bien-aimé fait paître son troupeau parmi les lis. Cantique II.). 11 Cet exemple illustre parfaitement l'exercice qui consistait à élaborer au moyen de la superposition et interjonction de différents systèmes symboliques un mode d'expression à la fois complexe et extrêmement expressif qui s'avéra parti­culièrement utile pour la transmission de messages à la fois religieux et politiques. Dans le cas présent, le jardin paradisiaque peut être identifié, au-delà de sa signification de base, à la fois à la Norman­die et au jardin de lys traditionnellement considéré comme étant le symbole de la France. Le lys était cependant également l'un des motifs-clés du Cantique des cantiques, et formait l'un des éléments importants des représentations reflétant l'interprétation mariale dont nous avons parlé plus haut. La présence de la Sainte Vierge était aussi particulièrement justifiée par le fait que la cérémonie s'est déroulée en Normandie où le culte de la Vierge Marie était profondément enraciné dans les traditions locales. L'image est complétée par la présence du roi qui n'en est ainsi pas seulement le spectateur, mais se trouve également intégré dans la composition en tant qu'acteur: la ville de Rouen, la Nor­mandie et tout le pays présente ses hommages à son souverain telle la fiancée - qui représente également la Sainte Vierge protectrice à la fois du pays et de ses rois -

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