Tátrai Vilmos szerk.: A Szépművészeti Múzeum közleményei 87. (Budapest, 1997)
EÖRSI, ANNA: Fuit enim Maria liber. Remarques sur l'iconographie de l'Enfant écrivant et du Diable versant l'encre
Ce n'est guère une coïncidence fortuite que le renversement de l'encre de saint Jean l'Évangéliste apparaît dans la peinture de miniatures au même moment et au même lieu que le thème de l'Enfant écrivant. Dans ce dernier cas, le Verbe s'inscrit pour ainsi dire dans le sein virginal de sa mère. L'Incarnation et l'écriture dans le rouleau ont ceci en commun qu'il s'agit dans les deux cas de la matérialisation du spirituel - que le Diable veut empêcher. Quand il ne laisse pas Jean écrire le début de son Évangile, lui aussi, il croit pouvoir se servir de la force magique du Verbe, c'est-à-dire de l'écriture. Il pense que si saint Jean n'écrit pas le Verbe, celui-ci n'existera pas; et ce qui n'est pas ne peut prendre corps. Il espère prévenir l'Incarnation en empêchant que les mots « caro factum est » soient couchés par écrit. La représentation de la lutte des forces du Bien et du Mal au début de l'Évangile de saint Jean remonte à une tradition : ainsi l'aigle vainqueur du serpent symbolise par exemple la victoire du Verbe sur les péchés du monde. 93 D'après une tradition remontant à saint Augustin, les premiers mots du Prologue de Jean ont fourni un argument décisif contre les hérétiques. 94 Cela est attesté par plusieurs représentations de l'Évangéliste aux XL-XIF siècles. Le Saint Jean de l'évangéliaire d'Eadui (Canterbery, vers 1020) écrase par exemple sous ses pieds une petite figure d'homme nommé « Arius ». La banderole du saint contient le début du Prologue ; celle de son adversaire, les mots « erat tempus quando non erat ». 95 Le verset « In principio erat verbum... » a été aussi utilisé par les exorcistes. 96 Mais saint Jean ne fut pas rapproché de l'Enfant écrivant uniquement en raison du premier verset de son Évangile. Il fut aussi le visionnaire du livre scellé de sept sceaux (Apocalypse V, 1 ), qui fut identifié avec le sein immaculé de la Vierge et devint l'élément principal du thème de l'Enfant écrivant. 97 D'autre part, dans les prières illustrées de miniatures des livres d'heures, les donateurs s'adressent à la fois à Jean et à la Vierge pour demander leur secours, et n'oublions pas qu'en dehors de « l'Incarnation du Verbe », l'Enfant écrivant représente aussi l'intercession. Sur une page des Très Belles Heures de Notre Dame, la prière « O intemeraîa » est illustrée à trois reprises de saint Jean l'Évangéliste en compagnie de la Vierge. Ils trônent l'un à côté de l'autre sur l'image principale, montrant chacun un livre ouvert au spectateur (l'Évangéliste tient aussi une plume à la main droite). Sur la miniature ornant l'initiale, ils déplorent le 93 Wittkower, R., Eagle and Serpent. A Study in Migration Symbols, JWCI 2 (1938-1939) pp. 293325 (p. 321; pl. 52/1). 94 Saint Augustin, Enarraîiones in Psalmos CI-CL (CCSL XI Turnhout 1956, 1605, 1606). Voir aussi p. ex. Bède, Homilia, I, 8, où l'auteur cite le début de l'Évangile de saint Jean pour réfuter les hérétiques pour qui « si ergo natus est Christus, erat tempus quando ille non erat » (cité par O'Reilly, op. cit., p. 180). 9i Hanovre, Kestner Museum, MS. WM XXI a, 36 : O'Reilly, op. cit.. p. 178 et fig. 38. Voir aussi entre autres la Bible de Stephen Harding, Dijon, Bibliothèque municipale, MS. 15, fol. 56v : Cahn, W., A Defense of the Trinity in the Cîteaux Bible, Marsyas 11 (1962-1964) pp. 58-62 (59-60). 96 Fait signalé aussi par van Gelder, op. cit., p. 178. Voir aussi Heckscher, W. S., Relies of Pagan Antiquity in Mediaeval Settings, JWCI 1 (1937) pp. 204-220; à la page 216, l'auteur évoque à titre d'exemple l'inscription de la camée d'agate datant du I er siècle dont Charles V fit don en 1367 à la cathédrale de Chartres. 97 Voir la note 33, ou par. ex. le sermon prononcé par Meister Heinrich à Nuremberg à la fin du XIV e ou au début du XV e siècle (cité par Schreiner, op. cit. 1970, p. 1456.