A Magyar Nemzeti Galéria Évkönyve 3. szám. (MNG Budapest, 1980)
Le modelé de la tête du roi sarrasin atteste plus sûrement l'influence de Mantegna. Un personnage de celui-ci, la deuxième figure de droite à gauche, un noir jouant d'une double-flûte, dans une gravure (Bacchus avec Silène, Hind 3) fut imité et modifié par le peintre nordique dans un style gothique assez bizarre rappelant un peu la manière de Schongauer (Fig. 21). La pose de la tête dans le panneau est la même que dans la gravure, mais elle y est représentée en image réfléchie. 3 5 LE PORTRAIT DE LILLE : LE JEUNE ROI Il semble superflu de chercher le modèle du troisième roi. C'est la seule figure qui, parmi les personnages peuplant les huit panneaux que nous connaissons, ait un caractère personnel facilement reconnaissable. Il a un nez droit, fortement marqué, des yeux enfoncés sous l'orbite, des sourcils bruns, foncés, il porte des côtelettes à la mode de l'époque et nous regarde bien en face, avec une insistance suggestive. Des rides nerveuses cernent ses yeux, ses lèvres dessinent une bouche amère et le visage maigre est recouvert d'une peau un peu flasque. Les cheveux, tels qu'ils sortent de sous le bonnet, sont châtains et poussant sur les tempes et une partie du front, encadrent le visage. Le regard fixe de la tête vue de trois quarts est celui d'un portrait de peintre qui se regarde dans la glace. En somme, la tête évoque le type caractéristique des autoportraits où le modèle se détourne de la scène et son regard accroche celui du spectateur. De toute probabilité, il s'agit du portrait du peintre par lui-même (Fig. 23) 36 Bien qu'il semble trop beau de pouvoir contempler, sur l'un des huit tableaux lui attribués, le peintre en personne que nous ne connaissions jusqu'à présent que par les initiales de son nom, cette possibilité n'en est pas moins bien appuyée par des preuves qui méritent confiance. Plusieurs autres artistes de l'époque nous sont connus de la même façon, par leurs autoportraits qui les représentent dans la même attitude : le regard se posant sur le spectateur du tableau. 37 La différence entre le visage de ce roi nous regardant en face et les autres personnages de la scène est tellement grande du point de vue du port et du caractère de la tête qu'elle ne s'explique que par l'intention de l'artiste de se représenter lui-même. C'est le seul détail dans ces panneaux qui permette au peintre de sortir de ce monde stylisé et idéalisé et, tout en s'attachant au sujet biblique de son œuvre, de se présenter tel qu'il devait être réellement. 3 8 Maintenant le problème est de relever et de prouver l'authenticité de cette présentation. A cette époque, s'il arrivait aux peintres de l'Adoration des Mages de faire un portrait, c'est-à-dire de donner des caractères distinctifs à l'un des rois, ils le faisaient plusieurs fois en peignant la figure du jeune roi. 39 Le vieux roi et le roi sarrasin du tableau conservé à Lille incarnent des types nettement extrêmes. Le monarque à genoux est très-très vieux, le Sarrasin à son tour trahit d'une manière grotesque son appartenance raciale. La somptuosité d'un goût théâtral de ses vêtements dépasse de loin la richesse des habits des deux autres rois. Lui seul porte, pendu à son cou, l'ordre de la Toison d'Or et lui seul est vêtu d'un manteau d'hermine. Celui-ci, s'ajoutant au turban sourmonté de la couronne, fait ressortir davantage le teint noir de son visage. Le jeune roi est également richement vêtu et, exception faite de la pose de sa tête tournée vers le spectateur, il joue parfaitement bien son rôle. Aucune de ses mains n'a un caractère personnel et les proportions de sa taille étant les mêmes que celles des autres personnages il serait difficile de dire avec certitude s'il est petit ou bien grand, gros ou maigre, parce que sa figure drapée ne permet de relever aucun signe révélateur de sa corpulence. A en juger d'après son visage, il serait une personne plutôt haute et maigre. Aussi nous faudra-t-il partir de l'analyse de physionomie pour aboutir encore à d'autres conclusions. Le rôle du jeune roi dans cette scène biblique devait décider le peintre à se substituer à son personnage. Nous sommes donc en présence d'un autoportrait qui est le portrait d'un roi venu présenter son hommage en témoignage de son adoration et de sa soumission. D'une part, l'artiste apparaît comme une personne somptueusement vêtue placée au sommet de la hiérarchie profane ; d'autre part il remet son cadeau à un nouveau-né, au Messie encore enfant, sans vêtements, devant qui il doit pourtant enlever sa couronne. Celle-ci, il la tient à la main gauche et il reste coiffé d'un bonnet brodé dans le style de l'époque. Dans la composition, le peintre tenait compte du mouvement de la tête tournée vers le spectateur. Le roi sarrasin désigne du doigt l'Enfant divin tout en jetant un regard dans la direction du jeune roi qui, en se tournant vers le spectateur, fait participer celui-ci à l'action à l'exemple des personnages regardant hors de l'image dans les tableaux d'autel style Renaissance ou baroque. Peut-être ce geste rend-il le visage plus suggestif ; en tout cas, il lui prête, en plus de son caractère d'autoportrait, une sorte de fonction liturgique aussi. Dans le cercle formé par les cinq personnages, le petit Jésus devrait constituer le centre mis en relief ; mais rien n'en est bien que tous les mouvements, tous les gestes se concentrent sur lui pendant qu'il regarde sa Mère. L'équilibre de la composition est assurée par les figures de la Vierge et du jeune roi apparaissant à gauche, respectivement à droite dans le tableau. L'inclination discrète du corps de la Vierge semble répondre à celle du jeune roi dont la révérence s'adresse autant à l'Enfant qu'à la Mère. Assurément, il est caractéristique que