dr. D. Fehér Zsuzsa - Kabay Éva szerk.: A Magyar Nemzeti Galéria Közleményei 2. szám (Budapest, 1960)
« Le Déjeuner sur Vherbe est mon oeuvre, une oeuvre originale que j r ai peinte, après avoir profondément étudié la nature, de juillet 1872 à mars 1873 dans mon atelier. Elle ne représente aucune contrée connue, ni un événement qui ait eu lieu ; bien que ce soit mes connaissances qui ont posé et que je me sois représenté moi-même dans l'homme couché à plat ventre, je trouve superflu du point de vue de l'interprétation du tableau, de nommer mes modèles, car mon tableau ne veut représenter autre chose qu'il représente clairement : une belle journée de printemps faisant les délices d'une société joyeuse en excursion, venue de la ville. C'est pour cette raison que je l'ai simplement appelé Déjeuner sur Vherbe. » (Mots soulignés par Szinyei lui-même.) Le tableau remporta du succès parmi les peintres munichois. Böcklin, Lenbach, Spitzweg, Max Gabriel, Benczúr le louèrent ; ils parlaient de Szinyei comme d'un coloriste de premier ordre. Seul Leibi faisait des reproches à notre peintre d'avoir employé des glacis. Pin mars Szinyei exposa sa toile dans les salles du Kunstverein. Le 2 avril il écrivit à son père : << J'ai enfin terminé mon tableau, il est exposé depuis quelques jours et je peux vous dire non sans joie que le public d'ici fait beaucoup de bruits autour de lui. On l'attaque ou on le loue avec la même violence et on me félicite de tous côtés. J'en suis content sans me laisser aveugler, puisque je connais bien mon public et ses caprices et je connais aussi ma valeur et je sais que je dois encore beaucoup travailler et faire des études sérieuses si je veux avoir quelque satisfaction un jour en me souvenant de mon passé. » La première critique consacrée au Déjeuner sur Vherbe parut le 25 avril dans le Supplément d'un journal d'art << Zeitschrift für bildende Kunst. » La voici dans une traduction littérale : « La critique, si elle ne veut pas faire la satire, se trouve complètement désemparée devant la Landpartie (Excursion) de Szinyei. Si le tableau n'étaipas une maille dans la chaîne du naturalisme à la mode, on pourrait le passer sous silence. Mais, dès qu'il s'agit de principes, il faut se prononcer même si le jugement que l'on prononce, est une condamnation. Nous sommes incapable de décrire le tableau de façon que le lecteur puisse s'en faire une idée nette. Nous n'avons pas le mot juste pour désigner ces couleurs criardes, offensant le regard. Prenons, pour le pré, le vert jaunâtre le plus cru, pour le ciel, le bleu le plus insolent, pour le complet de l'homme, le jaune le plus criard tournant au brun et, à côté, une tache difforme faite de blanc, de rouge rose, alors peut-être nous pourrons donner une faible idée de la Landpartie. Il va sans dire que notre peintre ne se soucie guère de ce que nous autres pédants nous avons l'habitude de nommer composition. Szinyei représente les hommes et les femmes de la même manière grossière avec laquelle ils ont la coutume de s'installe]- dans l'herbe. Faut-il en dire davantage ? » Au moment où ce compte-rendu pai ut, Szinyei se trouvait encore à Munich. Il le lut certainement, mais cet écrit injuste, imbu de préjugés, ne dut pas trop l'affliger, puisque ses amis, surtout Böcklin dont il avait une haute estime, ne manquaient pas de lui prodiguer des louanges. La sérénité que lui donna son succès auprès d'eux fut augmentée encore par ses fiançailles avec Mademoiselle Sophie Probstner. Il se préparait donc joyeusement à rentrer dans sa famille. Il envoya le Déjeuner sur Vherbe à l'Exposition universelle qui devait s'ouvrir à Vienne puisque le peintre Piloty avait demandé à ses élèves d'exposer leurs oeuvres avec les siennes dans la salle réservée aux peintres munichois. Mais le Déjeuner sur Vherbe fut classé d'abord parmi les oeuvres de la section hongroise dont la préparation valut à Szinyei la seconde critique de son tableau. Le correspondant de Pesti Napló signant à é donna le compte-rendu suivant der préparatifs de la section hongroise : « Il faut dire que le chaos préside à la préparation de notre exposition, malgré la présence de notre Telepy, plein de zèle et ne se lassant pas de désigner avec le tact indispensable en pareilles circonstances, la place qui revient à chaque toile. Il y a là d'excellentes peintures dont quelques-unes pourront faire sensation. Nous n'en mentionnons que deux : la Ronde nocturne de Munkácsy et le Déjeuner sur Vherbe de Szinyei. Le coloris de ce dernier tableau est étonnant : il est plein de feu, plein de vie. Selon Zumbusch avec qui j'ai eu l'honneur d'admirer cette oeuvre, « il est animé d'un bout à l'autre par la hardiesse du génie. Il est dommage que le sujet traité nous effraie par son prosaïsme. >> L'amusement de personnes vêtues de pantalons et de vestes à la mode du jour ! Une fête champêtre moderne ! Auraiton pu trouver un sujet plus vulgaire? Si Szinyei avait joint à ses magnifiques couleurs un sujet plus convenable, il aurait aujourd'hui plus de chance pour vaincre ses rivaux. D'ailleurs c'est un jeune homme et il fait des études à Munich à l'école de l'excellent Wagner. » Dans ces temps-là ni Manet, ni Monet n'ont eu une critique aussi élogieuse que celle de Zumbusch sur Szinyei. Cependant les peintres munichois n'ont pas tardé à revendiquer le Déjeuner sur Vherbe pour leur salle. Ils l'ont enlevé à la section hongroise de l'Exposition où il aurait eu une place beaucoup plus avantageuse que celle lui attribuée dans la section L2