Folia Theologica et Canonica 11. 33/25 (2022)

Sacra theologia

22 CYRIL PASQUIER La théologie de Dieu est plus large que celle des hommes. Ä cette vue de grande ampleur, la doctrine irénéenne de l’Antéchrist n’échappe pas. Qui est 1’Antéchrist selon saint Irénée ? Est-il présent ou á venir ? Individuel ou col­­lectif ? Quelle place tient-il dans « l’économie du mal» et dans le plan du salut en général ? Autant de questions auxquelles nous allons essayer de répondre en adoptant la largeur de vue de notre auteur. Les oeuvres d’Irénée de Lyon ont été perdues pendant au moins mille ans3. Les grandes syntheses théologiques médiévales se sont faites sans lui. Au sujet de la réception d’Irénée, ce qui a surtout fait difficulté jusqu’á présent est son eschatologie particuliére. II croyait en un « regne des justes » encore terrestre au moment de la parousie du Christ. Toute la fin de VAdversus haereses est imprégnée de cette doctrine. Quand Franqois Feuardent a publié pour la pre­­miére fois une version intégrale de cet ouvrage, á la fin du XVP siécle, il re­pródra a ses prédécesseurs d’avoir pratiqué á l’égard d’Irénée la censure plutöt que la critique scientifique constructive. II lanqa ainsi son célébre « Ca­lamo, non scalpello ! », signifiant qu’il aurait fallu commenter Irénée avec la « plume » plutöt que de supprimer des passages avec des « ciseaux »4. Les censeurs d’Irénée étaient des gens sans doute sincéres. Ils étaient assez persua­­dés que la fin de VAdversus haereses (V 31-36) n’était pás d’Irénée, que c’était un ajout postérieur. II n’y a pas si longtemps encore, dans le milieu du XXe siécle, des chercheurs comme Gry et Cremers tenaient la thése de l’exogé­­néité au corpus irénéen de la fin de VAdversus heareses5. Le second but de cette étude - en plus de la richesse d’interprétation sur l’Antéchrist - est done de montrer l’unité de l’oeuvre d’Irénée. Les six chapit­­res qui sont consacrés a l’Antéchrist ä la fin de VAdversus haereses (V 25-30), juste avant ceux sur le millénium eschatologique, sont-ils en lien avec le reste de l’oeuvre ? Ou bien correspondent-ils á un ajout postérieur ? Nous souhaite­­rions montrer que la doctrine de l’Antéchrist est déja présente en filigrane dans un passage bien antérieur á la partié eschatologique, c’est-á-dire dans le Livre III. Pour ce faire, nous partirons d’un extráit de III 23, 7 et nous verrons si toutes les interpretations possibles que Fon peut en faire se retrouvent dans la partié finale consacrée á l’Antéchrist. Ainsi nous voudrions chercher s’il existe une parenté entre la discrete allusion du Livre III sur l’Antéchrist et le grand passage bien visible du Livre V sur le mérne théme. La richesse interpretative sur 1’Antéchrist au Livre III se retrouve-t-elle au Livre V ? Ainsi serait démon-3 Sur la réception d’Irénée á travers les siécles et son oubli, voir Pasquier, C., Approches du mil­lénium. Et si Irénée de Lyon avail raison ? (Studia Oecumenica Friburgensia 103), Münster 2021.357-539. 4 Feuardent, F., PG VII. 1837. 5 Gry, L., Le Papias des belles promesses messianiques, in Vivre et penser, 3e série (Revue Bib­­lique 52) [1944] 112-124. Cremers, V., Het millenarisme van Irenaeus, in Bijdragen van de philosophische en theologische Faculteiten der Nederlandsche Jezuieten 1 (1938) 28—80.

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