Folia Canonica 11. (2008)
STUDIES - Emmanuel Tawil: Eglise catholique, Saint-Siege et Etat de la Cité du Vatican: une, deux ou trois personnes juridiques de droit international?
132 EMMANUEL TAWIL III. L’Eglise catholique Plusieurs auteurs soutiennent que l’Eglise catholique constitue en elle-même une personne de droit international. Ainsi le doyen Jean-Paul Durand écrit qu’ « en droit international public, sont respectivement des personnes morales gouvernementales le Saint-Siège — représentant diplomatique exclusif de l’Eglise catholique —, la Cité du Vatican, support matériel du Saint-Siège et l’Eglise catholique romaine elle-même »46. De même, pour Henri Wagnon, l’Eglise catholique est une personne de droit international47. Giovanni Maria Cherchi considère également l’Eglise comme sujet de droit international48, comme Joël-Benoît d’Onorio49 et Mgr Roland Minnerath50. Ces doctrines présentent une incontestable cohérence. Elles reçoivent une autorité particulière du fait que toutes les versions du projet de Lex Ecclesiae Fundamentalis ont expressément mentionné la personnalité juridique internationale de l’Eglise catholique51. Il est pourtant un point qui pose problème. Si l’Eglise catholique était, en tant que tel, sujet du droit international, cela aurait une conséquence nécessaire. L’Eglise catholique (puisque personne de droit international) serait tenue par toutes les obligations des personnes de droit international, et cela y compris dans le chef des églises particulières. Parmi les obligations que pose le droit international, on compte le principe de non-ingérence dans les affaires d’un Etat (rappelée par l’article 2 de la Charte des Nations-Unies) : reconnaître à l’Eglise catholique la personnalité internationale reviendrait à interdire aux églises particulières toute parole publique, toute action qui puisse apparaître comme une 46 J.-P. Durand, Le renouvellement postconciliaire du droit concordataire, in Le Supplément, n. 199, décembre 1996, 138. 47 «L’Eglise est une personne normale et constitutive de l’ordre international [...] Elle intervient dans la vie juridique internationale par son organe, le Saint-Siège, qui la personnifie au sein de la communauté du droit des gens»: Wagnon, cit., 64. 48 Cherchi, cit., 200. 49 «De même que les traités internationaux ne lient pas deux gouvernements mais deux Etats, de même un concordat ou une convention multilatérale engage, à proprement parler, non pas uniquement le Saint-Siège mais toute l’Eglise. Car le Siège apostolique, seul habilité à conclure de tels accords, n’est jamais que le gouvernement central et suprême de l’Eglise en laquelle il faut voir le véritable sujet du droit international. Bien que le plus souvent il soit seul mentionné dans les pactes concordataires, le Saint-Siège n’agit qu’aux lieux et place de l’Eglise puisque, dans chaque Etat, ce n’est pas tant le Saint-Siège qui se manifestera comme tel pour invoquer les clauses contractuelles que l’Eglise elle-même à travers sa hiérarchie locale constituée par les évêques diocésains, ou à travers le peuple chrétien. Il est clair que le Saint-Siège est le porte-parole qualifié de l’Eglise sur la scène internationale et dans les relations diplomatiques. Car reconnaître l’un, c’est reconnaître l’autre tant ils sont substantiellement liés l’un à l’autre. On ne conçoit pas le Saint-Siège indépendamment de l’Eglise puisqu’il en est la tête. On ne peut reconnaître juridiquement le gouvernement d’un Etat en ignorant cet Etat ; on ne peut reconnaître le chef de l’Eglise en ignorant l’Eglise» : d’Onorio, cit., 19). 50 R. Minnerath, L'Eglise et les Etats concordataires, Paris 1983, 74—81. 51 Buonomo, cit., 12.