Tátrai Vilmos szerk.: A Szépművészeti Múzeum közleményei 87. (Budapest, 1997)

EÖRSI, ANNA: Fuit enim Maria liber. Remarques sur l'iconographie de l'Enfant écrivant et du Diable versant l'encre

ne peut pas continuer, puisqu'un diable, qui fuit déjà les lieux, vient de renverser son encrier et l'encre se répand sur le sol. Van Gelder cite encore nombre de miniatures françaises représentant toujours saint Jean à l'île de Pathmos, qui a déjà commencé son Évangile au moment où son encrier est renversé ou volé par le Diable. C'est aussi le cas du livre d'heures de Vienne du Maître de Bedford, dont nous avons parlé plus haut (fig. 25). La miniature est divisée en deux : en haut, l'Évangéliste œuvre dans son cabi­net de travail; en bas, à l'île de Pathmos. Dans le premier cas, son encrier est tenu par l'aigle ; dans le second, son encre est répandue par le Diable. 88 Sur le panneau de Rotterdam, puisant dans la tradition des miniatures françaises de Dirck Bouts, on lit également les mots « In principio erat verbum et verbum erat apud deum et Deus erat verbum Joh. I. VI », et le texte s'interrompt ici, car le Diable qui guette saint Jean de par derrière son dos vient d'enlever son encrier et est maintenant en train d'en verser le contenu. 89 N'ayant trouvé aucune source pour le renversement de l'encre, van Gelder le rattache à un épisode très rare de la légende de saint Jean Bouche d'Or. L'événement est relaté par l'œuvre subsistant en quatre manuscrits du XIII e siècle d'un poète nommé Renaut ou Renaus, et par un mystère du début du XV e siècle. Le détail de l'histoire qui nous intéresse ici est qu'après avoir été iniquement condamné, le saint est exilé à une île où il se décide à écrire, mais le Diable l'en empêche en répandant son encre. Fina­lement la salive de Jean se transforme en encre et il peut reprendre son travail. L'analogie que van Gelder établit entre l'épisode signalé plus haut et le séjour de saint Jean à Pathmos lui est dictée en premier lieu par la considération que Jean Bouche d'Or se proposait également de décrire la vision de la Vierge. 90 Or cela n'est affirmé que par la version du XV e siècle : dans la première, en vrai intellectuel, il ne veut écrire que pour sauvegarder sa santé mentale au milieu de sa misère. 91 Je trouve peu con­vaincante la conclusion de van Gelder, selon laquelle « das Motiv im 14. Jahrhundert aus Texten einer französischen Version der Legende von Jehan bouche d'or in bildliche Darstellungen des Apostols Johannes übergegangen ist ». 92 Cet épisode de la vie de sain Jean Bouche d'Or n'a été relaté que par les mystères, et jamais représenté dans les beaux-arts. Lors même que cette légende aurait été connue dans les cours de France de la fin du XIV e siècle (ce qui reste à prouver) et qu'elle aurait inspiré les artistes, il faudrait encore expliquer pourquoi et comment un épisode relaté uniquement par des sources écrites de la vie d'un saint fut transposé dans la représentation d'un autre saint. 88 Vienne, Österreichische Nationalbibliothek, cod. 1855, fol. 13v. 89 Rotterdam, Museum Boymans Beuningen, n" d'inv. 1083 ; van Gelder, op. cit., fig. 2. 90 Van Gelder, op. di., p. 181. 91 « Forment li plaisoit l'escripture, / Son fain oblie pour la joie » Voir Weber, A., La Vie de saint Jean Bouche d'Or. Romania 6 (1877) pp. 328-340 (p. 335 : lignes 394 et 395). 92 Van Gelder, op. cit., p. 181. Les italiques sont de l'auteur. Pour les mystères du début du XV e siècle, il est tout à fait légitime de prendre en compte l'influence des images du Diable répandant l'encre de l'Évangéliste.

Next

/
Thumbnails
Contents