Korner Éva - Gellért Andor szerk.: A Magyar Nemzeti Galéria Közleményei 5. szám (Budapest, 1965)
lourds, un paysan portant péniblement son baluchon, une mère écrasée sous le fardeau de son enfant: ceux qui ne vont jamais aux expositions, et qui sont pourtant les vrais héros de ses tableaux. Le peintre est debout devant eux et quoiqu'il ne les regarde pas, ils sont dans son regard. On peut considérer cette œuvre comme un tableau-programme, et son but, une fois de plus, c'est la présentation de luimême, la révélation de son moi. Il fait profession de sa foi que le monde représenté par l'artiste n'est pas indépendant, détaché de la vérité de tous les jours, mais qu'au contraire, c'est la vérité la plus tangible de la rue. La vieille combinaison de « l'image dans l'image », usée par son usage souvent déraisonnable, s'enrichit ici d'une importante signification. Le coloris vif et expressif — où les rouges et les bleus bondissent audacieusement sur le visage et sur la tapisserie qui se trouve derrière — les contours brun chaud des miséreux font preuve de l'évolution remarquable du Derkovits coloriste. Par suite de ses petites dimensions, de son format réduit et de la technique, on classerait plutôt cette œuvre parmi les dessins bien qu'elle n'ait rien île l'esquisse. En 1932 il refait cette composition en huile-tempéra, aux grandes dimensions, créant ainsi le plus beau de ses autoportraits, le Jour d'hiver 23 (Fig. 25.), disparu en 1948. La composition de l'Autoportrait de 1929 se trouve modifiée dans le Jour d'hiver du fait que le tableau n'est pas au mur, mais sur le chevalet, et que le peintre y travaille. Cependant les deux plans superposés en forment presque un seul, la figure du peintre s'intègre presque au tableau peint par lui. Bien qu'un de ses bras tienne la palette, et l'autre un pinceau, sa tête vue sous le même angle, a les mêmes proportions que les figures du tableau qui, elles-mêmes ne s'en tiennent pas rigoureusement au cadre, elles le dépassent et commencent à vivre dans l'espace du grand tableau, comme si elles étaient en visite chez le peintre. Le rapport entre la mère portant son enfant, l'ouvrier au visage dur et desséché et le peintre est des plus naturels, tout comme celui de frères qui se ressemblent. Le froid rigoureux de la rue peinte sur le tableau pénètre dans la chambre. Ainsi l'hiver même revêt un sens symbolique et caractérise l'époque. Le Jour d'hiver est l'autoportrait le plus monumental et en même temps la plus belle révélation des qualités du peintre prolétaire. Plusieurs autoportraits peints au cours des années 30 montrent Derkovits au travail: rappelons l'Ébéniste 24 fier de son métier, le Cligneur, 25 magistralement caractéristique, ou l'Aquafortiste tendrement lyrique. 28 Le renforcement du lyrisme dans l'œuvre de Derkovits fait naître des œuvres d'une subtilité admirable, mais tout en reconnaissant leurs qualités, nous devons dire qu'aucun des autoportraits n'atteint ce sommet de la tension et du message solennel auquel a accédé le Jour d'hiver. Parmi les autoportraits des dernières années révélant un recueillement psychologique, celui de 1934 est le plus beau. 27 Il n'y a aucun objet sur le tableau, seule la tête agrandie, sensible à tous les frémissement de l'âme. Le peintre se voit agrandi comme une» apparition fantomale. Mme Derkovits raconte dans son livre Nous Deux qu'au cours d'une de leurs promenades, au printemps de 1934, son mari se pencha sur le miroir de l'eau, et y aperçut son portrait sur mille petites vagues. La pénétration et l'utilisation de cette expérience ne fait pas qu'aboutir à la création de l'autoportrait de 1934, mais en même temps il symbolise aussi le monde toujours nouveau, sans cesse renouvelé dans des images et des messages, de toute la série des autoportraits. Car ce ne sont pas seulement ses autoportraits proprement dits que nous pourrions réunir: les autoportraits dissimulés ou à moitié dissimulés sont encore plus nombreux, et il est impossible d'en évaluer le nombre. Il intègre souvent son propre portrait à des compositions. La composition monumentale du début des années 20 est la Cène 28 (Fig. 26.). C'est justement cette toile qui remporta