dr. D. Fehér Zsuzsa - Kabay Éva szerk.: A Magyar Nemzeti Galéria Közleményei 2. szám (Budapest, 1960)
Si le Déjeuner de Szinyei est un chef-d'oeuvre, ce n'est ni par la sensation de sa nouveauté à l'époque, ni par son caractère de précurseur et d'annonciateur d'un nouveau goût, de nouvelles couleurs, de nouvelles combinaisons, de nouvelles formes artistiques, mais il l'est du fait que sa nouvelle composition insolite, l'accord audacieux de ses couleurs, son dessin original et toutes les qualités très personnelles que nous venons de mentionner font de lui une oeuvre d'art par excellence, régies par des lois et une logique personnelles, ayant une vie propre et dont la vérité ne sera jamais affaiblie par la confusion des modes et des tendances futures. » Ernő Szép exprime, dans un discours prononcé à l'occasion d'un anniversaire, son admiration dans un élan tout poétique : ,,J'ai fait mon pèlerinage au Musée pour m'incliner devant le plus pur chef-d'oeuvre de Szinyei, devant le Dé jeûner sur V herbe , toujours neuf, toujours jeune, toujours immortel. Mon Dieu, qu'est-ce que ces six personnes installées sur le versant d'une colline peuvent bien avoir d'attachant et de séduisant qui fait que le spectateur oublie la vie et se laisse entraîner par des songes, qu'est-ce que cette fête champêtre matinale peut avoir d'intime qui berce le coeur et l'endolorit? Qu'est-ce qui fait que la déception nous poursuivant partout nous lâche devant cette merveilleuse toile? Qu'est-ce qui fait qu'après avoir vu ce chef-d'oeuvre, nous allons tout émus au-devant des moments futurs de notre existence et que pleins d'un espoir enivrant, nous promenons notre regard autour de nous comme si un monde inconnu venait de nous être révélé? Quelle union secrète du vert, du rouge, du rose, du blanc, du bleu et du brun, quel charme de la composition, de la touche, du jeu de la lumière et des ombres, quelle séduction due à l'imitation ou à l'omission des formes de la nature, quelle fascination des artifices du peintre nous poussent à prêter une oreille attentive et nous donnent l'impression d'entendre des propos dits à voix basse et coupés de petits rires étouffés, que nous croyons pouvoir retenir mais que notre distraction subite laisse s'envoler et fuir comme les nuages roses du tableau ? Rien n'en reste dans notre esprit sinon quelque chose de ressemblant aux notes d'une mélodie de Mozart. Nous sommes doucement bercés par le réel et par le songe . . . nous sommes incapables d'exprimer ce que nous ressentons : nous sommes heureux. » Károly Lyka écrit dans Magyar Művészet : « C'est grâce à des études approfondies de la nature que Pál Szinyei Merse est arrivé à la solution recherchée avec acharnement à la même époque par Manet et Böcklin. Le principal sujet de son tableau, ce sont les couleurs. Pendant que Manet s'efforçait de produire des effets de silhouette et de découvrir la pureté des couleurs, Szinyei y était parvenu sans difficulté et avait pu même dépasser ces problèmes en réussissant à rendre, indépendamment de Böcklin, et en l'influençant plus tard, l'éclat intense de la couleur . . . Szinyei que nous considérons à juste titre comme le plus grand maître du coloris hongrois, est un des plus importants et des plus originaux parmi les peintres modernes. Des collines vert émeraude, le bleu pur d'un ciel du mois de mai, des nuages blancs moutonneux, le vert marin velouté des champs de blé, les petites taches couleur de rubis et de topaze des fleurs des champs, et dans cet épanouissement du printemps, des hommes et des femmes assis par terre, ces dernières vêtues de robes de couleurs en formant un bouquet qui nous offre dans la lumière d'une pureté de cristal toute la beauté des tons frais, purs, des tons se détachant sur un fond vert : voilà le Déjeuner sur Vherbe peint à Munich et d'après mémoire. La séduction nouvelle et éternelle de cette oeuvre réside en ce que Szinyei y a peint, indépendamment de tout système et de toute tradition, ce qui avait charmé son coeur, la richesse et la fraîcheur des couleurs du mois de mai, et pour y réussir, il s'était libéré avec mépris, de toute technique apprise. Il s'est servi de couleurs pures pour peindre ce souvenir de sa jeunesse passée en Haute Hongrie. Sur ce tableau, les couleurs semblent être en rivalité tant pour l'éclat que pour l'intensité. C'est ainsi qu'elles ont atteint une pureté inconnue jusqu'alors et un brillant rappelant celui des pierres précieuses. Sans le savoir, Szinyei a résolu, avec une perfection classique, un problème pictural que les meilleurs impressionnistes français cherchaient à résoudre en même temps que lui. Si, au cours de l'exécution de son tableau, il s'apercevait qu'une des couleurs était trop vive et rompait ainsi l'accord de la composition, il n'en affaiblissait pas la valeur, mais au contraire il augmentait celle des couleurs environnantes jusqu'à ce que l'équilibre harmonieux des couleurs et de toute l'oeuvre fût rétabli. Par ce procédé, la spendeur des couleurs du mois de mai ressort du tableau avec une fraîcheur incomparable. Dans le Déjeuner sur Vherbe c'est donc un facteur purement pictural, la valeur des tonalités qui assure l'unité de la composition et l'équilibre du tableau. » En 1935 parut la biographie de Szinyei écrite par Simon Meiler qui avait recueilli les données de son ouvrage de la bouche même du peintre. Cet excellent ouvrage reproduit fidèlement la vie du peintre en éclaircissant quelques points jusqu'ici mal connus. Par des citations fréquentes, il nous fait connaître intimement le héros de son livre et il retrace avec art son évolution artistique. En parlant du Déjeuner sur Vherbe, il écrit : « Comme une terre en friche, son imagination est devenue, après ce long repos, plus